C'était une journée comme les autres. Une journée plus froide qu'habituellement, au cours de laquelle de la neige avait même été annoncée à la radio. De la neige à Larissa. D'aussi loin que je me souvienne, ça n'était quasiment jamais arrivé. Je doutais quelque peu de la véracité des prévisions qui avaient été faites par la météo et, bien que les températures, ce matin là, chutent en dessous de zéro, j'avais décidé, malgré tout, de venir faire mes consultations à l'hôpital. Des consultations qui, en théorie, auraient dû s'enchainer tout au long de la journée, mais qui s'étaient avérées annulées par la plupart de mes patients, beaucoup craignant le froid et surtout la neige annoncée. Je ne pouvais pas les blâmer : la plupart des patients à ma charge avaient de lourdes séquelles physiques et beaucoup de difficultés à se déplacer. Ainsi, se rendre jusqu'à l'hôpital avec des chutes de neige annoncées s'avérait être un véritable parcours du combattant, pour eux. Pour autant, je n'étais pas rentrée chez moi, bien consciente que certains de mes patients, comme ceux qui résidaient non loin de l'hôpital, ou encore ceux qui avaient le plus de facilités à se déplacer, feraient peut-être l'effort de venir au rendez-vous qu'on avait convenu. Je me retrouvais ainsi coincée à l'hôpital jusqu'à au moins 20h ce soir là.

Ces derniers temps, mes journées se faisaient de plus en plus longues. Je passais de moins en moins de temps chez moi, peut-être parce que la solitude me pesait. Une chose que je n'étais pas vraiment prête à reconnaître. La vérité, c'était que le temps commençait à me sembler long. Quand j'étais seule, toutes mes pensées ou presque se tournaient vers Damian, de qui je n'avais pas eu de nouvelles depuis notre dernier baiser qui semblait l'avoir mis dans tous ses états, puisqu'il avait annulé nos deux dernières séances de rééducation. Je savais que j'avais fauté en l'embrassant. Après tout, lui et Rowan étaient toujours marié et ce, même s'ils avaient engagé une procédure de divorce. Pour autant, je regrettais l'attitude qu'avait Damian à mon égard. Je regrettais son silence, subissant celui-ci comme une véritable torture. Ainsi, oui, j'étais peut-être mieux ici, à passer mes journées à bosser, plutôt que chez moi, à ruminer encore et encore tout ce qui s'était passé avec Damian et tout ce que cela pouvait signifier, à savoir, l'éventuel début d'une nouvelle une histoire. Une histoire qui me réjouissait autant qu'elle me terrifiait.

Assise à la cafétéria, je prenais par conséquent une pause quelque peu obligatoire. Seule à une table, j'entendais, ici et là, les conversations autour de moi. Conversations de patients et de leurs proches, pour la plupart, puisque la majorité de mes collègues, eux, avaient de quoi s'occuper. Alors que je portais mon café à mes lèvres, j'entendis une personne faire quelques pas dans ma direction. Une femme, à en juger par le parfum qu'elle portait et par le bruit caractéristique de ses talons sur le sol. Tournant la tête vers la jeune femme en question, j'ignorais toujours l'identité de cette personne, jusqu'à ce que celle-ci m'adresse la parole :

« Salut Christyn. » Je reconnus sans peine la voix de Pandora. Pandora, ou Panda, comme l'appelaient certains, était une ancienne de mes patientes, une jeune femme que j'avais eue en charge après qu'elle soit sortie d'un très long coma. Son rétablissement avait été long, mais à présent, et en partie grâce à mes soins, la jeune femme avait retrouvé une bonne motricité. Elle se déplaçait seule, savait effectuer la plupart des gestes du quotidien. Elle savait par exemple se nourrir seule, et c'était une grande victoire, pour moi, comme pour elle. Si elle bénéficiait encore de quelques séances, plus espacées dans le temps qu'auparavant, il nous arrivait parfois – très rarement – de nous croiser, en dehors de l'hôpital. Au fil de nos séances, une certaine amitié s'était même tissée entre nous. Une amitié qui m'était à présent très chère et que je tenais à préserver.

« Salut ma belle. » lançai-je, sans savoir pourtant ce de quoi elle avait l'air. J'ignorais ce à quoi ressemblait mon amie, mais je m'étais fait une image d'elle, par le biais de sa voix. J'imaginais une très belle jeune fille, à l'image de ce qu'elle était à l'intérieur. Ainsi, lorsque je me permettais de la qualifier de cet adjectif, c'était en connaissance de cause. Comme je le répétais souvent à certains de mes proches, les aveugles avaient une chose en plus : ils voyaient sans voir. Et je voyais beaucoup de choses en Panda que bien des personnes voyantes ne sauraient voir. Des choses qui se trouvaient dans son âme, et que peu de personnes étaient capables de percevoir. Tirant la chaise à mes côtés pour inviter Pandora à s'asseoir, je lui lançai :

« Tout va bien ? Qu'est-ce qui t'amène ? Encore une visite de routine ? » Depuis sa sortie de son coma, Pandora se devait de faire très attention. Les médecins la surveillaient régulièrement, l'obligeant à faire quelques petites visites à l'hôpital. « Mes patients, à moi, n'ont pas osé braver le froid. Je pense qu'ils ont cru à ce qui se raconte à la radio et qu'ils pensent que la neige va effectivement tomber. » un léger rire m'échappa. De la neige. C'était vraiment n'importe quoi. De la neige à Larissa ! Ca n'était pas arrivé depuis... des années ! « Tu y crois toi ? » Elle devait certainement le savoir plus que moi, elle avait eu la chance de voir le temps, moi pas. Et puis, j'étais à l'hôpital depuis le matin même. Depuis, peut-être que la neige avait commencé à tomber. Peut-être même était-elle tombée abondamment.